La Peinture d'Ansy Dérose (Suite)
par Pradel Henriquez

     
       

On ne peut, en vérité, parler de la peinture d’Ansy Dérose sans en profiter pour apprécier le talent musical de l’artiste et noter au passage, chaque fois que cela est nécessaire, cette communauté de style et de ton qui pourrait exister à la fois chez le compositeur et chez le peintre. La tentation est bien grande, à vrai dire, d’analyser l’œuvre picturale d’Ansy Dérose à la lumière de ses potentialités réelles en tant que musicien ou chanteur, tout en reconnaissant une fois pour toutes qu’Ansy Dérose, vivant, n’avait pas l’air de vouloir toujours s’assumer comme peintre.

Certes, dès sa plus tendre enfance, il a fait montre d’un talent particulier, selon ce que nous avons appris de sa famille, et d’une passion pour la peinture qu’il n’a cessé de pratiquer avec amour. Entre 1956 et 1970, il a exposé en Haïti à l’Institut Français, à l’Institut Haitiano-Américain et au Foyer des Arts plastiques, avant de se faire connaître comme plasticien en Allemagne, en France, au Brésil, au Canada et au Sénégal.

Tout compte fait, l’énorme réputation dont jouissait le chanteur Ansy Dérose à Port-au-Prince n’a pas eu le même écho pour le peintre qui a fait montre, à notre avis, de peu de souci quand il s’agissait de révéler ses toiles au public. La peinture d’Ansy Dérose n’en existe pas moins, désormais, dans toute son évidence. Elle nous est offerte à l’occasion d’une exposition-hommage ; chaque toile posée sous nos yeux suit la trame essentielle d’un vide que nos regards sauront à coup sûr combler. Nous savons que faire preuve de cette patience d’ange, de cette humilité, de cette innocence qui règne d’ailleurs étrangement à travers l’ensemble des œuvres picturales d’Ansy Dérose est comme un éternel retour à l’enfance. «C’est la vie qui tend le miroir à l’art, disait Oscar Wilde, et reproduit quelque type étrange né dans l’imagination du peintre ou du sculpteur».

Ansy Dérose avait tant à dire. Il avait tant vécu et si intensément que tous les médiums réunis ne pouvaient suffire à l’épanchement de son âme d’artiste total, à l’expression de son talent. Il a su, croyons-nous, en toute discrétion ou avec un certain scrupule, s’accrocher à son art pictural considéré ici plutôt comme une sorte de prolongement de sa quête du beau et donner ainsi un autre sens à la vie.

Notons qu’il n’est pas toujours facile de regrouper, sans se tromper, par catégorie thématique ou par catégorie esthétique, l’œuvre plastique d’Ansy Dérose qui commence réellement à s’affirmer de 1961 à 1964, avec sa série de portraits, bien entendu après une gestation difficile qui a vu naitre, de 1956 à 1958, des toiles (souvent des paysages) dénotant un effort d’application certes, mais se démarquant très peu de cette facture proche de l’exercice pratique. Ansy Dérose avait compris, du début à la fin de la construction de son œuvre, la nécessité d’être constamment à l’école des grands maîtres de la peinture nationale et internationale.

Aussi, un souffle d’académisme ne manque pas de hanter sa peinture qui s’affranchit et s’éclate heureusement chaque fois que le pinceau et la palette de l’artiste lui permettent de se lancer dans cette quête de l’innocence. La toile d’Ansy Dérose retrouve alors sa fraîcheur et ce sens du dépouillement qui est une constante de toutes ces œuvres placées dans les rayons de l’enfance chez Dérose. Ce cycle de l’enfance peut être alors perçu de deux manières: il est d’abord traité avec une nette conscience des techniques acquises par Dérose, durant sa formation académique (formelle ou informelle). Il est aussi traité parallèlement avec un sens absolu du dépouillement ou d’automatisme et peut même aller jusqu’à la dérogation aux principes académiques. Transgression, tachisme, touches survoltées. Refus du figuratif qui ne se fait jamais abstrait. Eléments colorés, formes imprécises. Ville Arabesque. Vide de sens. Transgression des valeurs. Transe. Les lignes pures suffisent à la conception d’une géométrie solide qui participe de tout son poids à la facture de l’œuvre. Véritable cycle de l’enfance qui donne à cette œuvre émaillée de fleurs, de marines, de paysages, de portraits, de vagues réminiscences religieuses et synthétiques, de natures mortes étiques, de natures mortes à la chaise ou aux fruits tropicaux, un accent proprement original. Une œuvre, en apparence, incohérente au point de vue technique, mais très consistante. Un œuvre qui vit de préférence d’une cohérence instinctive, lui assurant sa survie au niveau formel et tonal. Une cohérence formelle qui tient donc à l’agencement des éléments picturaux évoluant dans l’espace pictural. Elle devient dès lors comme un tout complexe figural et tonal qui forme une totalité intérieurement ordonnée et équilibrée.

De 1971 à 1997, l’œuvre de Dérose prend sa pleine mesure, en dépit des périodes creuses qui font faux bond à toute évaluation de type chronologique. Elle s’arrête avec la mort de l’artiste qui laisse derrière lui quelques toiles inachevées, esquissées au crayon. Cette dernière période est celle d’un bleu très dense où certaines marines ont un traitement plus sûr, mieux maitrisé, presqu’intimiste, qui les place carrément à l’opposé des exercices pratiques du début.

L’œuvre picturale d’Ansy Dérose est à la fois proche et éloignée de son art musical. Proche par le message toujours recommencé de la fraternité et du partage, proche par ce calme des regards et cette non-agressivité. Proche par ce dieu crucifié, cet humain mis en croix. Proche, en un mot, par ce désir de vivre et d’aider à vivre, qui prend un ton particulier dans sa peinture plus fraiche parfois, plus encline à capter l’attention et à forcer notre vision. Effort d’être devant une œuvre d’art qui a besoin de nous pour se compléter, grandir, s’affirmer…
«C’est notre intelligence qui lui donne la vie», affirmait Oscar Wilde. «Regarder et voir sont choses toutes différentes. On ne voit une œuvre que lorsqu’on en voit la beauté. C’est alors seulement qu’elle nait à l’existence».

 

Pradel Henriquez

 

La peinture
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