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La Peinture d'Ansy Dérose (Suite)
par Michel Phillipe Lerebours

     
       

Plus tard nous le retrouvons, décorant les tap-taps contribuant ainsi à la définition d'une forme d'art destinée à un grand avenir. Presque initiateur. Étape décisive où il perfectionne son dessin et où s'exaspère son sens de la couleur. Spontanéité, fantaisie, et aussi dialogue qui le libèrent de son formalisme de départ et le placent face à l’art populaire. Et notre mémoire presque toujours déficiente n'a pas su garder son nom, pour que lui soit, un jour, rendu un hommage mérité.

Les cartes de Noël à la gouache et à l'aquarelle, qu'il réalise au cours de cette même période, sont d’une émouvante finesse et d'une étonnante variété. Une activité sans prétention, juste pour «boucher des trous» à la période des fêtes, mais qui lui permettait de s'exprimer sans contrainte, de donner libre cours à son imagination et de satisfaire sa soif intense de création. Une activité qu'il prenait donc au sérieux. Comme tout le reste. Tout comme ses études à l’école professionnelle J.B. Damier où il s'est spécialisé en mécanique d'ajustage et qui lui découvre un univers beaucoup plus rigide mais non interdit à la création.
Sa vraie rencontre avec la peinture se fera un peu plus tard, vers la fin des années cinquante, au Foyer des Arts Plastiques qu'il s'est mis à fréquenter avec assiduité. Le Foyer des Arts Plastiques n'est plus ce qu'il était au début des années cinquante où des théories étaient élaborées, étaient discutées réfutées, repensées; où chaque œuvre était source de débats parfois passionnés; et où le désintéressement frisait le sacrifice. Un certain pragmatisme économique s'y était lentement installé et avait empoisonné les rêves, brisé les élans, entravé la grande et belle fraternité de départ. La production semblait même stagner et se dégrader. Quelques-uns comme René Exumé, Denis Emile, Paul Beauvoir, avaient cependant gardé leur foi dans les idéaux de départ. Ils étient parfois parvenus à une grande maturité technique, leur permettant de bien gérer leur style, de proposer des solutions nouvelles.

Ansy Dérose manifeste cependant une grande indépendance, se contentant souvent d'entendre, de regarder et, s'il le faut, d'interroger. Ses premières œuvres, pour la plupart des gouaches et des aquarelles, malgré son sens de l’espace, et la sûreté du dessin, ont quelque chose de très jeune, de très spontané, quelque chose d’archaïque qui réfère indiscutablement à Michelet Giordani et Edouard Preston et visiblement porte la marque de ses essais antérieurs. Avec une tendance très poussée au bien fait. Une vision idyllique du monde haïtien. Un langage suave, même pour parier de la misère. La couleur douce et tranquille hésite entre les camaïeux et les jeux subtils d'ombre et de lumière où le jaune de napels rehausse le rouge de cadmium tout en évitant les éclats. Il se passionne pour les couchers de soleil et les scènes de nuit, fait surgir une tâche orangée dans le brun noirâtre d'un ciel mouvementé.

Etait-il satisfait de ce travail plaisant et facile qui, ça et là, laissait percer ses hésitations. Ses ambitions étaient autres et beaucoup plus vastes. Il savait que l’art même le plus humble, à moins de cesser d'être art, exigeait de solides connaissances et une perpétuelle remise en question. Et aussi qu’il n’y avait point d'accomplissement sans effort. Et que la création était avant tout volonté et travail.

Entre 1961 et 1967, sa curiosité est insatiable et on le sent bouger en quête d’un je ne sais quoi qui pouvait d’emblée réaliser l’accord entre ses inquiétudes et l’univers de la peinture. Qui ferait de sa peinture un langage où s’articuleraient ses angoisses silencieuses et ses rêves inconnus. Autant que le Foyer, il fréquente la galerie Brochette où peintres, poètes, sculpteurs, acteurs et autres, se donnent régulièrement rendez-vous dans une ambiance de chaleureuse confrontation. Il entend parler Lazare, Cédor, Néhémy Jean, Jacques Gabriel, Roland Dorcély. Il écoute et retient. Et sans qu’il n’en soit pleinement conscient, des synthèses s’opèrent sur son sens des valeurs pratiques qui s’affinent progressivement, ses toiles se structurent, dépassant la simple proposition anecdotique pour une véritable prise en charge d’une «surface à organiser». S’il refuse d’aller inconditionnellement sur les brisées des aînés, il ne tente nullement de masquer des influences complexes: haïtienne, française, italienne, américaine. Même toutes celles qui remettent en question le vocabulaire désuet de la peinture narrative. Toutes celles qui demandent une explosion de la ligne et de la couleur. Et qui essaient de cerner pleinement le vécu dans son aridité ou sa plénitude: Ouverture sur l’action vraiment picturale, sur la «peinture-peinture». Non que le sujet s’efface. Il restera jusqu’au bout comme une simple trame perçue sans emphase ni discours, et en dépit de très fortes stylisations, ne versera jamais dans l’abstrait.

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La peinture
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