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La Peinture d'Ansy Dérose (Suite)
par Michel Phillipe Lerebours

     
       

Ce combat contre la peinture-littérature, contre la peinture-engagement, allant jusqu’à la mise au rancart du «Réalisme de Cruauté», il n’est pas le seul à le mener. Ses préoccupations rejoignent celles, par exemple, de Francisco Tilesfort, ce talent prometteur si vite tombé dans le silence, celles des jeunes de «Caraco bleu» réunis autour de Tiga, celles de l’équipe de Calfou, groupée autour de Bernard Séjourné et de Bernard Wah. Priorité aux valeurs purement formelles, exploration de la ligne et de la couleur, remise en question de l’espace et du volume traditionnels, découverte de la facture... Et aussi interrogation du vaudou, plus particulièrement des «vèvès» en tant que pré-art. Cette nouvelle  orientation est en grande partie commandée par une situation politique qui réclame prudence et discrétion. La grande tentation de l’art qui nait et qui tend à se vider de toute substance, est sans doute le maniérisme. Il en est conscient et essaie, tout au long de sa carrière, d’éviter que l’œuvre ne devienne un jeu stérile de formes. Son séjour en Allemagne de 1963 à 1965, loin de provoquer une rupture dans son art, confirme et consolide ses options. Il visite les musées, les galeries, rencontre des artistes, sélectionne ce qui peut servir à son art. Dans une étonnante fidélité à lui-même.

Dans une première étape, vers 1961, il rompt avec le paysage pour se concentrer sur le portrait. Partout se révèle une sensibilité d’écorché vif qu’il essaie de dominer et de dérober aux regards indiscrets. Plus troublante parce que refoulée. Se lisant sur chaque visage «Le sujet, c’est toi-même, ce sont tes impressions, tes émotions devant la nature. C’est en toi qu’il faut regarder et non autour de toi». Cette pensée de Delacroix, il semble se l’être appropriée, évitant les prétextes, les faux-semblants et les masques. Ce n’est donc point la ressemblance physique qu’il cherche, mais le jeu combiné des lignes et des couleurs qui, plus certainement que les attitudes et les mimiques, engendre une douce mélancolie et révèle les émotions les plus secrètes. La couleur se rehausse, se nuance et s’illumine. Evitant le clair obscur qui avait modelé ses paysages, les harmonies se font plus riches, plus larges, plus stables, intégrant les éclats et les dissonances sous une dominante orangée. Il est clair que la couleur a éclipsé, le dessin est devenu sa préoccupation première. Les volumes surgissent, solides, façonnés par la couleur, détachés d’abord en haut relief sur des fonds neutres, avant de se résorber progressivement. Dans une interrogation répétée de l’espace.
Inquiétude essentielle qu’il prendra définitivement du temps à surmonter. Cette démarche semble alors l’écarter des courants contemporains qui devaient conduire à l’Esthétique de la Beauté.

Vers 1965, alors que, de retour d’Allemagne, il s’installe à Chicago pour un séjour de près de 18 mois, la nature morte éclipse presqu'entièrement le portrait. En 1963, il avait peint une nature morte dans le goût ancien des Indigénistes, où il faisait intervenir la cruche et la lampe à pétrole dans leur plus grande ressemblance. Avec une grande habilité technique, il avait construit un espace traditionnel, et, jouant sur des effets de lumière, avait su placer et détacher les volumes. Sa nouvelle approche, différente, a retenu, sans s’y enfermer, la leçon de Cézanne. Il s’agit pour lui d’une redéfinition de l’objet, lui gardant sa matérialité, mais le tenant en dehors du mouvement et lui créant une permanence en dehors du temps. C’est, en somme, une surface plane qu’il organise, s’inquiétant fort peu de suggérer la troisième dimension. La ligne soutient les formes et les définit, mais c’est à la couleur qu'il revient de les animer, de les individualiser. Des harmonies solides et somptueuses menées par des rouges sourds et des ocres jaunes.

Quand il revient en Haïti vers la fin de 1967, après avoir plusieurs fois exposé en Allemagne et aux Etats-Unis, sa peinture prend une orientation et une dimension qui l’opposent aux grands courants haïtiens du moment, mais qui traduisent parfaitement ses inquiétudes et le besoin de plus de vérité et d’une plus grande adéquation entre son style et ses interrogations existentielles. Désormais, le sujet importe peu et il refuse de se limiter à un thème unique. Il retrouve les scènes de rue, les paysages urbains, les natures mortes, les portraits. Avec une certaine prédilection pour l’objet mécanique, ce qui prime, c’est une tension énorme entre la ligne et la couleur. La couleur perd sa force et son éclat, diluée, comme noyée dans un brouillard. Un brouillard qui chaque jour s’épaissit. La ligne s’efface, désagrégée dans cet univers vaporeux. Les formes n’ont plus de consistance et perdent leur réalité, rêves évasifs qui ne savent trop comment venir à l’existence.

Une indiscutable angoisse devant un monde pris entre un passé qui refuse  de mourir et un futur qui se cherche et désespère de se trouver. Les influences sont perceptibles, parfois contradictoires, et vont de Redon à Puvis de Chavannes et aux Nabis en passant par Van Gogh dont il a, par moments, retenu la touche et le désarroi.

Et puis, la ligne ressurgit comme pour reconstruire l’objet et faire taire la tentation de l’abstrait informel, ou plutôt du tachisme. Malgré, ça et là, des réminiscences de Kadensky. Il se sent attiré par les «vèvès» et par la sémiologie amérindienne, mais hésite et s’en écarte presqu’aussitôt comme si la vérité recherchée se situait ailleurs.
C’est à ce moment, peu après son succès musical à Mexico, que viendra le choix douloureux. A un carrefour où tous les choix possibles lui semblaient inadéquats ou impossibles. Se garantir de l’angoisse dans le silence.

Il reprendra le pinceau près de vingt cinq ans plus tard comme pour se défendre d’une autre angoisse. Ce sera alors un autre art plus direct, plus clair, plus haut en couleurs, plus tumultueux et tout aussi tourmenté. «Je m’avance dans une mer qui n’a ni rivage, ni fond», disait Füssli. Sans rivage, ni fond. Et aussi sans la bouée qu’il avait souhaitée et qui lui aurait apporté la lumière.

Michel Phillipe Lerebours

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