FEMME
Un regard lucide jeté sur l’histoire d’Haïti éclaire la réalité des femmes de ce pays. Le choc des cultures né de la découverte de l’Ile par les conquistadores et la colonisation n’a pas épargné les premières Femmes.

Depuis, la situation des femmes ne s’est pas améliorée avec l’arrivée des Africains pour remplacer les Indiens. En effet, la traversée et le système de l’exclusif se nourrissaient de la force des noirs qui moururent par millions. Cet enfer fut aussi et surtout celui des femmes africaines. Parmi les sévices les plus atroces infligés par les colons blancs, citons la crucifixion des femmes jugées fautives. Même les femmes enceintes n’étaient pas épargnées.

Il ne faut pas croire qu’avec l’indépendance, la nouvelle nation haïtienne ait proposé de meilleures conditions d’existence à la femme. Aujourd’hui encore, les femmes haïtiennes vivent un calvaire au quotidien. Des conditions néo-esclavagistes leur sont imposées dans les usines de sous-traitance, les bateys, etc. Alors que leur force de travail alimente la production agricole et industrielle, aussi bien dans la paysannerie que dans les villes, elles souffrent de malnutrition chronique. Bien que toute l’économie repose sur leurs épaules, elles occupent très peu de place dans les structures du pouvoir.

Même nos historiens, même nos intellectuels, dans leur quête du passé, oublient souvent de mentionner l’apport de la femme haïtienne à l’édification inachevée de la nation. Le spectacle «Femme», en plus de son côté pertissant, se veut une manière de restituer à des grandes figures féminines qui ont marqué l’histoire, la place qu’elles méritent, vu l’étendue de leur sacrifice. Seule la vérité historique peut lever le voile sur des siècles de mensonges et de misogynie, permettre aux femmes de reconquérir leur dignité et contribuer à l’amélioration de leur condition. Certes, la réhabilitation de la femme dans sa vraie dimension ne se réduit pas au temps bref d’une manifestation culturelle. Mais le spectacle «Femme» représente un pas dans la bonne direction, un catalyseur pour des actions organisées et systématiques.

En incarnant sur scène des héroïnes comme : Reine Anakaona, Amazone Toya, Manbo Cécile Fatima, Lieutenant Sanite Belair, Henriette St. Marc, Fermière Suzanne Louverture, Impératrice Félicité Bonheur Dessalines, Cheffe Marron Marie Jeanne, Reine Marie Louise d’Haïti, Ti Fanm Almina, Catherine Flon, Joute Lachenais, Dédé Bazile (Défilé la Folle) ainsi que les pinités connues dans notre culture et notre folklore: Femme Eau, Femme Terre, Femme Feu, Femme Lumière, et également dans le souci d’éduquer, ce spectacle permet de camper devant les spectateurs et les jeunes des modèles qui changeront leur perception des femmes.

Pour accompagner et soutenir cette démarche, deux artistes, Emeline Michel d’Haïti et Orlane de l'Ile de la Réunion, qui n’ont pas cessé de s’affirmer et d’imposer par leur talent et leur persévérance une image positive de la femme, occupent la scène, assistées de talentueux musiciens haïtiens et étrangers. Sans oublier la révélation du jeune talent de la soirée, Misterline (Misty) Jean .

Un texte descriptif de chaque figure féminine historique est dit par des interprètes pour les présenter au public. Cependant les mots en eux-mêmes ne suffisent pas pour évoquer l’ambiance du passé. D’où la nécessité de redessiner les costumes des différentes périodes avec «Les Créations Madeline Ledan» pour recréer l’atmosphère des époques. Le spectacle «Femme» revêt un triple intérêt. D’abord, il pertit un public assoiffé de qualité. Ensuite, il permet aux participants de reprendre une lecture de l’histoire falsifiée. Enfin, cette soirée de gala a essayé de rendre un hommage à la femme haïtienne. Ainsi, dans une ambiance de circonstance, plusieurs artistes haïtiens et étrangers de toutes les disciplines survolent l’espace et le temps, et utilisent leur talent pour transmettre la vérité. Ainsi musiciens, danseurs, poètes, diseurs, acteurs, mannequins, coiffeurs, modélistes, maquilleurs exercent leur art au bénéfice de l’autre féminin.

«Les Productions Yole Dérose» entendent faire œuvre qui dure. De ce fait, grâce à la collaboration de chercheurs comme Bayinnah Bello, la publication d’un livret de présentation des figures féminines historiques compense l’aspect éphémère d’un spectacle. En attendant un travail plus approfondi de nos historiens sur l’apport des femmes dans notre histoire, ce livret comble un vide. En effet, les élèves et les étudiants peuvent puiser dans cet ouvrage des informations révélatrices sur le passé.

Jacques Roche