CELEBRATION DES 20 ANS DE
CARRIERE
D’EMELINE MICHEL
Bilan : vingt ans, dirait-on, pour retracer rapidement le parcours atypique d’Emeline Michel. Vingt, c’est aussi le nombre symbolique de chansons interprétées dans la soirée du 9 décembre 2006 par la sirène des Gonaïves. C’était sous le ciel dénudé du Parc Historique de la Canne à Sucre, sous la menace de la pluie. Le spectacle de la Belle… et des Bêtes de scène.

La belle voix de la génération consciente des années 1980, Emeline Michel, et des bêtes de scène venues de partout, tels Makarios Césaire (Guitare), Dominique Kanza (Guitare), Caroll Hodge (Batterie) ajoutée à des artistes invités comme Raoul Denis Jr (Violoncelle), Joël Widmaïer (Batterie), retrace en trois heures, vingt longues années de carrière de notre «Reine à nous tous». La pluie a toutefois failli nous voler un beau spectacle, point culminant de la tournée des vingt ans sur scène de l’interprète de «Pè Letènèl» organisée par Les Productions Yole Dérose.

«Cette tournée, placée dans une conjoncture difficile, est une réussite», s’est réjoui d’entrée de jeu Clarens Renois, le maître de cérémonie. Emeline, vraie boule d’émotion, avait emballé quelques jours plus tôt sa ville natale, les Gonaïves, les 5 et 6 décembre. C’était à l’occasion de la fête du Collège Immaculée Conception. Samedi, cette même émotion traversait le Parc Historique de la Canne à Sucre paré de ses atours naturels (vieux moulins datant de l’époque coloniale, arbres dominant la scène,…).

«Vingt ans d’émotions, mais la passion est toujours là», a noté Clarens Renois, dans un court-métrage projeté sur la scène. «La petite fille des Gonaïves est aujourd'hui notre Diva Créole», a introduit le MC. A 8h45, une voix sèche, séduisante, tonitruante, perce l’assistance : Emeline arrive avec sa longue jupe caressant, comme d’habitude, la scène avec ses orteils. Sur le plateau, c’est en effet la femme aux pieds nus.

«La voix, dit-elle, c’est le seul instrument qui passe par le corps». Ses tours de reins en témoignent bien. A chaque chanson, une introduction. A chaque note, une danse. C’est aussi cela, Emeline Michel ; la chanson passe par tout son être. A travers ses yeux clos, ses mimiques, sa complicité avec ses musiciens, ses échanges avec le public… Elle a trouvé en Makarios Césaire, co-auteur de «Nation Soleil», le guitariste-vedette de la soirée, un bon complice. «Kote w moun ?», la chanson considérée comme le passeport ou la carte d’identité de l’artiste, en dit long.

«La Chanson de Jocelyne», quoiqu’un peu moins populaire que «Pè Letènel» ou «A.K.I.K.O.», est particulièrement poignante, car le texte chante la misère de Jocelyne, jeune provinciale, et le côté implacable de Port-au-Prince souvent en ébullition dans cette transition démocratique qui n’en finit pas.

Emeline, révélée en 1986 lors du spectacle en Hommage à la Jeunesse organisé par Yole et Ansy Dérose au Stade Sylvio Cator, est de la génération consciente de Sidon Joseph, feu Georges Lys Hérard… et Beethova Obas. Elle porte, comme un deuil, l’espoir d’une Haïti meilleure.

Le temps du spectacle, le désespoir disparait. James Germain et Beethova Obas ont interprété à la perfection «3 fey, 3 rasin» et «Viejo», chacun en duo avec Emeline. Tantôt au milieu du podium, tantôt dans l’assistance, Emeline était «la fiancée de tout le monde».

Pour les vingt ans de carrière de la Diva de la chanson créole, rien n’a été laissé au hasard. Jean-René Delsoin, une fois encore, a confirmé son talent de chorégraphe avec sept des danseurs de sa Compagnie, donnant du punch à ce spectacle aussi envoûtant que romantique. Le corps, lui aussi, sait s’exprimer…

Derrière chaque diva, se cache un ou des paroliers, de talentueux musiciens et des impresarios. Yole Dérose, une fois de plus, a joué sa partition à la perfection. «Célébrer vingt années de carrière est un vrai défi, a dit la belle veuve. Nous ne pouvions pas oublier Emeline».